Arbeit macht frei
Arbeit Macht Frei
Assise au bord d'un charnier à ciel ouvert,
A quoi aurais-je pensé ?
Est-ce que j'aurais regardé en bas, mes frères ?
J'aurais vomi ma peur peut-être…
J'aurais pleuré sans doute…
Et j'aurais attendu.
Attendu qu'il presse la détente,
Qu'il efface ce dernier signe d'obstination ;
Cette survie,
Ce réflexe de respiration,
Cet entêtement à être là encore.
Quand j'ouvre les yeux aujourd'hui,
Quand je regarde le monde redevenir fou,
Encore et encore…
Mes pupilles sont les gouffres sans fond de l'absurdité.
Mes veines charrient les gènes de millions de victimes,
Et de millions d'assassins…
Mon ventre portera peut-être le monstre de demain ?
Il porte déjà le deuil de ces nuées d'enfants martyrs,
Ces légions de dos voûtés alignés vers la mort…
Avec en toile de fond,
Cette culpabilité barbelée…
Elle se dessine sur des montagnes de corps enchevêtrés,
Elle sent la fumée, le sang, l'urine !
Les raisons putréfiées, les déraisons condamnées !
Jour après jour, elle s'amenuise en se gravant aux monuments…
Jamais assez de lettres enluminées pour se rappeler des sacrifiés,
Jamais !
Jamais assez de guerres non plus.
Les corps des noyés remontent un jour ou l'autre en surface.
Ceux des jeunes enfants d'abord,
Puis leur mère, leur père,
Leurs oncles, tantes, grands-pères, grands-mères…
Tous.
Toutes ces lignées fantômes qui tourbillonnent en nous, quelque part…
Et qui nous pointent de leurs doigts décharnés,
Qui hurlent leur fin en silence pour rien ne recommence.
Pulvérisés les corps, les chairs, les familles, les souvenirs ;
Qui pourrait imaginer leur douleur ?
Et qui veut encore se souvenir de l'ignominie de nos aïeux ?
Ces anciens qu'on nous apprend à respecter,
Les soi-disant gardiens de la sagesse…
Oui, si on lui ordonne de le faire un homme peut tout faire.
Humilier, salir, torturer, persécuter, brûler, annihiler
D'autres hommes qui lui ressemble.
Et garder le sourire les jours de fête.
L'humanité dans toute sa triste splendeur :
Capable du pire d'abord.