Phagocytose

Phagocytose

 

 

J’attrape la poignée de la porte, un temps d’arrêt. Une ou deux secondes à peine. Juste assez de temps pour qu’une bribe d’angoisse m’atteigne. Quoi ? Je ne peux rien y faire, il faut y aller. Sortir, marcher, vivre… Parmi eux. Les autres. Ceux qui ne me comprennent pas, ceux qui ne veulent pas. Cet océan de visages et de mots effrayant, abyssal. Tous ces profils qui me dépassent comme des pointes de flèches méprisant la cible. Les sifflements de leurs phrases hachées, à peine venues, déjà éteintes me glacent les tympans. Mes épaules se rétractent, ma nuque se raidit, je voudrais m’enrouler sur moi-même. Comme ces animaux étranges qui se réfugient en eux-mêmes pour protéger leur vie. Ce serait si simple. Mais non. Je suis humaine, ma seule protection face au danger est à l’intérieur. Sous ce crâne fragile, à l’intersection de deux synapses peut-être…

 

Je l’ai longtemps cherché, et encore aujourd’hui, je veux croire en son existence quelque part là dedans. Cette réponse à mes terreurs gratuites, à mes étouffements soudains. Mais je ne l’ai pas trouvé, je suffoque toujours ici bas. Je ne peux que m’arrêter et fermer les yeux. Sentir le temps qui ralentit tout autour. Et percevoir le flot humain qui s’épaissit, jusqu’à noyer l’idée même de ma présence. Tous ces êtres vivants, toutes ces répliques de moi qui s’entremêlent à l’infini finissent par me submerger totalement. M’annihiler, m’absorber… Dans cet univers d’indifférence grouillante et hystérique, aucun cosmologiste ne retrouvera ma trace. Je ne serais jamais une étoile dans cette galaxie de chair. La foule de mes semblables m’a avalée, vorace, sans même s’en rendre compte. Je n’étais rien et je ne suis plus. Déjà…

 

J’attrape la poignée de la porte et je sors chercher le pain, il est déjà 10 heures.



31/03/2008
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 17 autres membres