Sortir ce soir

Je peux commencer maintenant, puisqu’elle l’a décidé. Je n’aurais pas pu le faire sans elle, c’est sûr. Mais puisqu’elle me prête ses mains, je peux  parler avant l’heure et c’est presque un miracle. Je ne saurais pas dire quel jour on est exactement et ce n’est pas important finalement. Je sais qu’elle vient de se lever parce que ça tangue un peu ici. Elle a encore mal aux jambes on dirait ; L’ambiance n’est plus aussi chaloupée qu’au début. Mais enfin, je m’habitue à tout et cela ne fait que commencer il paraît. Je sais d’instinct que bientôt d’autres évènements suivront et que je devrais y faire face pour grandir dans ce monde.

 

 Le monde du dehors, celui qui fatigue maman. Si elle était dans un univers comme celui où je suis, elle n’aurait pas tant de peine à marcher et respirer. J’entends sans cesse des échos étranges qui font battre son cœur plus vite ; Elle respire fort parfois et mon cocon se fait plus étroit, comme si on l’oppressait… Trop souvent à mon goût. J’entends sa voix changer aussi, s’éloigner de moi pour se faire plus haute et là aussi ma bulle devient moins souple. Qu’est-ce qui peut bien la troubler comme ça ? Je ne suis plus très pressé de voir ce monde qui la tourmente. Pourtant il faudra bien que j’y aille, je le sens. Je grandis déjà, mon antre devient trop petit. Pour délasser mes jambes trop longtemps repliées, je dois pousser fort les murs souples autour de moi. Et là, je sens maman qui tressaille.

 

Elle a mal ? Je ne pense pas… Je n’ai pas mal moi, et je suis elle. Mais je ne sais pas finalement, c’est quoi « avoir mal ? ». Je l’entends se plaindre de ses jambes, son dos, la chaleur. Et je ne sens rien moi. Que la chaleur du liquide et les parois lisses qui m’enveloppent. Peut-être que si je ferme les yeux très fort et que je me concentre, je verrais, je comprendrais tout…

Oui, comme cette voix-là, lointaine. Je la reconnais cette voix. Elle est parfois si proche de mes oreilles. Ce n’est pas celle de maman, c’est celle de l’autre. Papa ? Oui je crois que c’est ça. Papa c’est la voix grave qui fait que maman et moi, on se sent calmes. C’est aussi cette grande ombre un peu lourde qui  me cherche à travers les murs de ma bulle. Maman aussi fait des ombres, mais c’est plus léger, je les connais bien les siennes. J’aime aller me coller contre elles, je ressens presque leur chaleur. Contre celles de Papa, c’est plus dur et plus grand. Je m’y colle aussi mais je préfère envoyer des bourrades ; ça fait résonner la voix de Papa et maman ensemble, c’est agréable.

Il y a d’autres voix que je peux entendre d’où je suis. Des voix plus légères et plus vives aussi. Parfois elles me font sursauter mais j’aime aussi quand elles résonnent tout près.

Il y a des moments où je n’entends plus rien. Plus rien que le cœur de maman, calme, lent. Là je peux  bouger autant que je le peux, rien ne réagit au dehors. Ma bulle est souple, je m’y retourne. Je tortille mon cordon, je suce mon pouce, j’ouvre et je ferme les yeux. Je patiente, je teste…

Il y a des bruits bien sûr. Des gargouillis, des ronronnements, des choses que je n’entends presque plus tellement je les connais. Seuls ceux du dehors m’intéressent depuis quelques temps. Finalement j’ai hâte. Tous ces sons doivent bien ressembler à quelque chose. Toutes ces voix sont peut-être des êtres, comme moi. Comme maman…

Depuis combien de temps suis-je ici ? Depuis toujours… Il faut que je sorte ! Je suis prêt maintenant maman, tu le sais bien.  Allez, s’il te plaît, je peux sortir ce soir ?



31/03/2008
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