Le livre (suite chapI et II)

Donc, à pas feutrés, j’ai fini par trouver la salle de bain. Du carrelage blanc et bleu partout, une baignoire, un lavabo et des wc, rien de bien original, juste de quoi se glacer la voûte plantaire au réveil. Autant je n’aime pas du tout dormir ailleurs que chez moi, autant j’aime assez découvrir l’intérieur intime des gens ; fureter du regard, détecter les petits riens qui font suspecter les grands travers cachés. Là, rien à redire, pas un grain de poussière ou de calcaire dans la salle d’eau. Les serviettes bleues au garde à vous, les flacons en rang d’oignon…
Je me suis sentie un peu minable, ça ne restait jamais longtemps comme ça chez moi. Le miroir m’a semblé presque trop propre, je voyais mon visage un peu trop nettement et ce n’était vraiment pas flatteur. Pendant une seconde, je me suis dit : « Heureusement que j’ai les yeux de garce de ma mère sinon, je pourrais me pendre ! ». J’ai fait une grimace hideuse au temps qui passe et me suis déshabillée aussitôt. J’ai grimpé dans la baignoire, tiré le rideau de douche et j’ai commencé à triturer nerveusement le robinet. Une averse glacée à achever de me réveiller, j’ai réprimé un juron en m’écartant du jet sans cesser de tourner rapidement le robinet d’eau chaude. Bientôt la température de l’eau fût idéale, et ce n’est que lorsque je fus complètement trempée que je réalisais que je n’avais pas pris ma trousse de toilette. Mon savon, mon shampooing, ma brosse à dent…
Je me voyais mal traverser la maison de ma tante avec juste une serviette sur le dos. Je ne suis pas du genre pudique mais j’ignorais si Janis apprécierait le spectacle. Mais au moment même où je poussais un long soupir, j’entendis frapper à la porte de la salle de bain. Je lançais un « Oui ? » surprit, et je vis la porte s’entrouvrir avec horreur. Je me cachais derrière le rideau de douche, prête à grogner contre l’intrus quand j’entendis ma tante me dire : »Tu auras besoin de ça je pense… » et elle passa le bras par la porte, tenant ma trousse de toilette. Avec le rictus d’une gosse prise sur le fait de son manque de jugeotte, je bredouillais : »Oui…Merci, je l’avais oubliée. ». Alors que je m’étais un peu détendue, Janis entra alors promptement dans la salle de bain et sa présence me tétanisa. Elle vînt me donner la trousse en mains propres, c’est le cas de le dire. Son aplomb autant que sa tenue me mettait mal à l’aise. Elle ne portait qu’une nuisette plutôt courte pour une femme de son âge, sans rien en dessous au vu de la semi transparence de la nuisette plus blanche que blanche. J’étais de plus en plus gênée et cela, davantage par ce que Janis me laissait apercevoir que par ma propre nudité. Je tirais le rideau de douche et sortais aussitôt mon savon de la trousse, faisant mine de reprendre ma toilette. A ma grande surprise, ma tante ne quitta pas les lieux. Elle commença à me dire des banalités sur le temps, sur le programme de la journée, tout en s’installant sur les toilettes. Malgré le bruit de la douche, je l’entendais uriner très distinctement. Pendant une seconde, je me dis que la situation avec quelque chose de comique mais ma gêne m’empêchait de trouver quoi. Je me suis mordu la lèvre inférieure en me jurant que si sa nuisette tombait au sol, je prendrais aussitôt la fuite, même à poils. Elle se brossa les dents sans cesser de me parler. Me posant toutes sortes de questions sur mes enfants, mon quotidien pour en venir au pourquoi du comment de mon divorce. Heureusement, j’avais terminées mes ablutions fébriles ; Elle me tendît une grande serviette, je m’y enroulait en répondant : »
- Oh tu sais, l’histoire ordinaire et banale de beaucoup de couples… Il n’y a pas grand-chose à dire là-dessus. On se marie trop tôt donc on divorce avant qu’il ne soit trop tard.
- Je trouve ça quand même dommage. Le mariage ce n’est pas un produit jetable ! Ta génération a perdu le goût des traditions…
- Tu sais ma tante, ne prends pas mal ce que je vais te dire mais… Si l’intérêt de la tradition du mariage c’est de rester toute sa vie avec un c… enfin quelqu’un qu’on ne supporte pas sous prétexte qu’on a signé, ça tient du masochisme ! ». En disant cela, je réalisais que je
parlais à une femme qui avait perdu l’homme de sa vie au plus beau de leur vie maritale. J’aurais voulu me coller des gifles. Elle ne parut pas offusquée du tout : »

- Oui je comprends… Mais je veux croire que tous les mariages ne se terminent pas ainsi.
- Moi aussi… Mais je crois que du temps passera avant que je ne me remarie. Même si je suis très amoureuse actuellement, je reste lucide.
- Ah ! Parle-moi du nouvel élu de ton cœur ! Comment est-il ? Et avec tes enfants comment ça se passe ?
- Ho tout va bien, rien à dire là-dessus. C’est peut-être pour ça que je reste sur mes gardes ! Il ne demande rien d’impossible à donner et j’en fais de même. Rester simples et honnêtes dans nos relations, c’est peut-être ça le secret de la longévité. ». Elle avait envie de
poursuivre ce bavardage mais j’y coupais court en la voyant préparer son bain. Je pris vite congé et filais dans la chambre pour m’habiller. En passant devant l’escalier, ma mère m’interpella d’en bas « Tu n’es pas encore habillée ? ». Son ton agressif dès le matin avait quelque chose de rafraîchissant pour moi. Souvenir d’enfance sans doute. Je lui adressais un sourire exagérément rayonnant en répondant : »Bonjour à toi aussi maman. Et non comme tu le vois, je sors de la douche. ». Elle marmonna une autre bulle d’acidité et disparut du bas de l’escalier. En cet instant je remerciais le ciel de ne plus être une petite fille. Finalement, vieillir avait du bon, surtout pour moi.

 

Chapitre II : La Forêt


Après ce que j’appelle « l’illumination » ou « le passage de lumière », selon l’humeur du moment ; J’ouvre donc les yeux sur l’orée de la forêt d’Ighrwind, aussi impressionnante que son nom est imprononçable. J’ai l’impression d’être déjà venue ici ; Mais il est vrai que toutes les forêts de ce pays se ressemblent… D’une main, je monte le son de mon Ipod et de l’autre je sors le parchemin qui me sert de carte. Le soleil est éclatant aujourd’hui, et cela suffit à me remplir de courage pour le moment. Je déplie le plan, suis de l’index quelques lignes au tracé chaotique et me mets aussitôt en route. Un dernier coup d’œil au ciel qui étale ses couleurs miraculeuses et je m’engage sur le sentier, le cœur léger. A ce moment précis, je sais déjà que je vais devoir passer la nuit au cœur de cette forêt monstrueuse. Ighrwind, dernier territoire des Trolls échappant encore à la domination de l’empire de Suka. Je ne risque pas de croiser une patrouille providentielle ici si je me trouve en mauvaise posture. Mais ce n’est peut-être pas plus mal… Les légionnaires Sukiens n’apprécient guère mes méthodes, j’en ai déjà fait l’expérience au commencement de mon périple. Entre leur rigueur morale et la bestialité des Trolls, mon choix est vite fait.
Je marche déjà depuis plus d’une heure quand au détour d’un Chêne musical énorme, je me retrouve au bord d’un modeste ruisseau envahi par la mousse. L’endroit est enchanteur et c’est peu dire en ce monde-ci. Je décide de me poser un peu et non sans un regard prudent alentour, je m’étends au bord de l’eau avec un profond soupir d’aise. La forêt grouille de vie, j’ôte mon casque pour mieux apprécier les bruissements paisibles de cette nature luxuriante. Des chants d’oiseaux inconnus, le crépitement du peuple de l’herbe, la chanson du vent dans les branches tentaculaires, tout est démesure… J’ai un moment de blues en pensant à ma petite famille. Je voudrais tellement pouvoir leur montrer toutes ces merveilles chimériques. Venir en pays Sukien pour un week-end, qu’ils voient ce qu’un paysage de neige magique peut-être ; qu’ils découvrent des fleurs aux senteurs miraculeuses et aux réflexions désopilantes. Qu’ils goûtent au pain frais poussant sur les aulnes Meunier et voir leurs regards effarés devant un champs de fraises rubis. Fraises qui ne sont guère comestibles puisqu’il ne s’agit là que de gemmes cultivées par les lutins joailliers de la Vallée de l’Ern… Un craquement sous les frondaisons d’un saule tout proche me tira de la torpeur rêveuse où je m’étais laissé glisser. Je me redressais imperceptiblement et respirais à fond. Si un Troll se trouvait dans les parages, je ne pourrais pas rater son odeur pestilentielle. Mais non, je ne flairais aucun fumet putride. Autre craquement. Je m’assois souplement, d’un air aussi naturel que possible. Je réajuste le foulard qui maintient ma chevelure en arrière, observant tout autour de moi discrètement. Un bruit de clapotis attire mon attention un peu en aval du ruisseau et ce que j’y vois me rassure instantanément. Un centaure me regarde en traversant tranquillement le ruisseau. J’aperçois son sourire prétentieux juste avant de détourner la tête. Je déteste les centaures ; à chaque fois que j’ai eu affaire à eux, ils s’étaient montrés plus horripilants et écoeurants que le pire des play-boys humains. Ces créatures-là, uniquement les mâles bien sûr, sont si sûrs de leur virilité qu’ils sont persuadés que toute femelle de quelque « race » qu’elle soit rêve de leurs fougueuses étreintes. Personnellement, rien qu’à les voir trimballer leurs attributs aux quatre vents, ma libido n’est plus qu’un souvenir et je prendrais plutôt la fuite. En l’occurrence, le centaure du ruisseau ne dérogeait pas à la règle et il fût bien vite campé devant moi, une fleur de miel à la main. Aux premiers mots qu’il prononça de sa voix trop grave pour être honnête, je regrettais d’avoir fait une pause ici.
« Bien le bonjour belle intrigante ».Le germe de la colère était déjà en moi quand je lâchais, mâchoires serrées « ouaip c’est ça bonjour…et au revoir. » ; et je me levais aussitôt pour reprendre ma route. Ma réaction, surtout mon manque d’amabilité, avait dérouté le centaure mais son instinct de reproducteur était plus fort que tout. Il me suivit sur le sentier : »

- Attendez !
- Passez un bonne journée l’ami, j’ai à faire !
- Oui mais… Attendez, je ne souhaite que bavarder un moment ! Vous ai-je offusquée de quelques façons ?
- Non, bon vent !
- Mais voyons, demoiselle attendez je voulais… » je m’arrêtais brusquement et me plantais
devant lui, le regard mauvais : « je ne suis pas une demoiselle et je sais ce que vous vouliez. Vous vouliez me faire la grande scène du Deux, numéro de charme et tout le tremblement. Alors autant que vous sachiez de suite que je ne suis pas zoophile et par ailleurs que je suis mariée et comblée. Je n’ai pas de temps à vous consacrer aussi reprenez votre route et laissez-moi reprendre la mienne. Au revoir. ». Et je tournais aussitôt les talons, laissant le pauvre étalon planté au milieu du sentier comme un piquet. Je crois l’avoir entendu siffler quelque chose de malveillant entre ses dents et cela m’a vite rendu le sourire.

Mais à peine avais-je fait quelques mètres que le ciel au-dessus des arbres s’obscurcît brusquement. Ici le temps change vite, très vite, en quelques secondes parfois. En l’occurrence, il se mît à tomber des hallebardes alors que cinq minutes avant, le soleil resplendissait. A peine surprise, mais surtout très agacée par cette météo lunatique, je rabattais mon capuchon de cuir sur ma tête déjà trempée en grommelant. Au bout d’un quart d’heure, le tonnerre et les éclairs redoublant de vigueur, je commençais à chercher un abri. La pluie faisait un véritable rideau devant mes yeux, tous les alentours résonnaient du bruit que faisaient les trombes d’eau en s’écrasant au sol. Sol plus que boueux, mes pas collaient à la bouillie de terre et de mousse, rendant mon avancée de plus en plus difficile. J’essuyais mon visage aussi ruisselant que grimaçant et aperçût tout à coup un arbre énorme juché sur un amas de rochers. Ses racines entremêlées sur la roche pareilles à de monstrueux serpents noirs pétrifiés. Je m’y accrochais prestement pour grimper jusqu’au tronc de l’arbre, peut-être le dernier refuge encore à peu près sec dans cette forêt. Le fond de l’air s’était fortement rafraîchi, je n’ôtais pas ma cape ; mourir de froid juste pour avoir le poil sec, je ne trouvais pas ça intelligent.
Je plongeais une main dans mon havre sac à la recherche de ma blague à tabac et mes doigts rencontrèrent l’emballage plastique que je ne reconnaissais que trop bien. Je l’empoignais en murmurant : « Et la cape fût de nouveau sèche. ». Je sentis alors le cuir frémir sur mes épaules et, non sans une pointe de honte, je m’ébroueais sous mon manteau débarrassé de son humidité. Je savais bien qu’utiliser le livre pour ce genre de broutilles n’était pas raisonnable mais j’avais tout le temps de trouver une excuse valable… Si d’aventure, on m’aurait incriminé. Après tout, personne ne m’avait dicté de règles quant à son utilisation. Pas Martin en tout cas. Ses énigmes nébuleuses ne m’avaient pas beaucoup aidée dans mon apprentissage…

Je lâchais donc prise et fouillait à la recherche de mon tabac.
Un peu plus tard, alors que l’orage redoublait de fureur, je vis passer quelques biches apparemment effrayées. En écrasant ma cigarette dans la mousse devant moi, je jetais un œil alentours, cherchant la cause de la panique de ces bêtes. Mais rien ne vint. Sans doute avaient-elles été surprises par le tonnerre… Je décidais de m’installer plus confortablement entre les racines de l’arbre, en attendant la fin de l’orage. Je m’enroulais étroitement dans mon manteau et m’asseyais en tailleur pour mieux caler mon dos contre le tronc. Je savais qu’il ne fallait pas que je m’endorme ici. En des lieux inconnus. Mais le bruit de l’eau eût tôt fait de me bercer et je me déconnectais peu à peu de la réalité, en pleine somnolence… Ma tempe droite se posa bientôt contre l’écorce en même temps que ma respiration se faisait plus lente et profonde. Il ne fallait pas non, c’était dangereux… Tout était dangereux dans ce monde-ci. Mais la vie de l’autre monde m’avait usée quotidiennement depuis quelques années, et ma résistance au sommeil s’en était vue considérablement diminuée. Je sombrais donc… Juste un instant, un petit quart d’heure…

« Lâchez-moi tas de rampants ignobles ! Reculez ! » Ces cris m’éveillèrent en sursaut ; complètement vautrée dans la mousse aux pieds de l’arbre. J’écartais un pan de mon manteau qui me recouvrait entièrement et ouvrais des yeux hagards sur une scène qui ne m’étonna guère. Le centaure que j’avais croisé plus tôt dans la journée était aux prises avec quatre trolls. En me rajustant, un frisson d’éveil me secoua alors que j’observais le ciel noir au dessus des arbres. J’avais dormi beaucoup trop longtemps. En passant une main sur mon visage, je pouvais y sentir les traces des lichens sur lesquels j’avais dormi ; je devais avoir une drôle de tête. Et en me rajustant je regardais le centaure s’agiter dans des postures fières, persuadé sans doute que sa grâce équine impressionnerait ces attardés mentaux que sont les Trolls…
Je n’avais nulle envie de lui venir en aide, les puantes créatures ne m’avaient pas même remarquée, j’aurais pu continuer ma route sereinement. J’aurais pu. Si seulement cette créature à sabots ne m’avait aperçue alors que je m’apprêtais à disparaître dans les fourrés. Et dans toute sa magnificence, il saisit cette occasion de sauver sa peau. »Là ! Une humaine ! » Cria-t-il. Aussitôt les quatre Trolls tournèrent leurs trognes répugnantes dans ma direction ; Il faut dire qu’ils exècrent les humains et ne rechignent guère à en dévorer quelques uns quand l’opportunité se présente, bien qu’ils préfèrent les enfants aux adultes. En l’occurrence, mes jarrets auraient fait leur régal comparés à ceux du demi cheval qui parait-il, ont la peau dure et la chair fade. Faute de grive, comme on dit… Ils se lancèrent aussitôt à ma poursuite et je ne perdais pas une seconde en vaines réflexions et me jetait dans les buissons d’épineux ; Bien sur se faire lacérer le visage par les ronces est douloureux, mais j’avais un atout majeur dans ma manche. Ou plutôt, un livre. Le livre…
Et la main droite crispée sur lui je marmonnais, tout en courrant droit devant moi dans la forêt épaisse. Les mots se succédaient entre mes lèvres : »peau de verre… Jambes de brumes… Vitesse du cerf… » Mais la fuite, même aidée par la magie, dès le réveil et en pleine nuit, très peu pour moi. Surtout que les Trolls ne semblaient pas vouloir lâcher prise. A bout de patience, je grognais « étranglement ! » et me retournais d’un bloc pour faire face à mes poursuivants qui s’écroulaient, au bord de l’asphyxie. L’un d’eux s’affala presque sur moi, s’accrochant à mon manteau avec un regard paniqué. Je le repoussais sèchement du pied et reculait de quelques pas en disant d’une voix forte : »Bon ! Les tarés ! Si vous ne voulez pas crever là comme des lièvres pris au collet, je vous conseille de foutre le camp vite fait ! » Je n’eût que quelques borborygmes pour toute réponses… « Oh ! L’un d’entre vous comprends ce que je dis ? Si vous vous éloignez de moi, la sensation d’étranglement va disparaître. Mais il faut être très loin ! « Comme ils continuaient de se tortiller sans essayer de fuir, je pris la tangente avec un soupir d’agacement. Ils sont vraiment trop cons ces Trolls.
En retrouvant le sentier que je devais suivre pour atteindre mon but, je vis quelques traces du centaure. Je lui promis un chien de ma chienne à ce bellâtre, si d’aventure je le croisais une fois de plus, il s’en souviendrait… Et c’est en ruminant ma rancune je me remis en route vers l’endroit où je devais retrouver un certain Magnus Cole, à la taverne du dragon-tortue. En plein cœur d’Ighrwind, à plus de deux heures de marche encore. Je m’en voulais d’avoir dormi si longtemps mais en même temps, la pluie avait cessé et c’était inespéré.



01/04/2008
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